Hermann Panzo : « j’aurais gagné » (1982)

Une coquette maison de bois sur les hauteurs de Fort-de-France.
Un fauteuil dans le salon, à côté d’une chaîne hi-fi et d’une imposante pile de disques.
C’est là qu’Hermann Panzo, le sprinter français n˚1, a vécu les championnats d’Europe d’Athènes.
Sans enthousiasme ni regret : « Athènes, c’est le bout du monde. J’en suis très loin par la distance.
Quand je ne cours pas, je prends du recul. A la limite, on pourrait même dire que l’athlétisme ne m’intéresse plus.
J’ai suivi les championnats à la télé, comme n’importe quel individu, et non comme un athlète. »

C’est clair : Panzo ne sombre pas.

Le décor s’y prête d’ailleurs assez peu. Entouré de sa femme Jocelyne et de son fils Nicolas, un bambin de sept mois, il a surmonté la déception d’une saison gâchée par une blessure.
Surmonté, et non oublié : « Je suis blessé, c’est tout. Je prends la vie comme elle vient. Avec fatalisme. » Il est même parvenu à s’enthousiasmer pour Rose-Aimée Bacoul, Chantal Réga et leurs médailles de bronze…
En revanche, il a été déçu par l’élimination de Lomba, l’autre Hermann du sprint français, en demi-finale du 200m : « Il manque encore de maturité. Mais s’il continue à travailler, je pense qu’il sera au niveau mondial dans deux ans. » Guerre des Sup’Hermans en perspective.  « On verra bien sur les pistes, mais ne faites pas de comparaisons hâtives. Lui c’est Lomba, moi, Panzo. Nous avons nos qualités et nos défauts. Il ne suffit pas d’avoir le même prénom, d’être antillais et noirs pour être semblables. »
A première vue, Hermann 1er ne paraît pas blessé. Il se déplace sans problème.
Il pourrait même courir ou sauter. Uniquement lorsqu’il force, une gêne douloureuse revient derrière la cuisse. La blessure est maintenant presque cicatrisée. Elle lui aura gâché toute la saison, et aura sans doute privé la France d’une médaille bien venue. Lui en est certain. Ses propos sont ceux d’une sorte de Cassius Clay à la française.
« Si j’étais allé à Athènes, j’aurais gagné. Je visais la victoire, c’est évident.
Bien sûr, beaucoup de gens vont penser qu’il est facile de le dire après coup, et que je suis prétentieux. Moi, je ne rentre jamais sur une piste pour terminer second. Quand on est second, on est battu. D’ailleurs, vu la manière dont cela s’est passé à Athènes, j’affirme que j’aurai gagné sans difficulté… »
Motif de son credo, qui semble destiné à la rassurer lui-même : Emmelman l’a emporté en 10″21, alors qui lui avait prévu de réaliser 10″10 ou 10″15. « Sûr je l’aurai tapé ! », s’exclame-t-il. L’art et la manière de s’imposer dans un fauteuil, depuis un fauteuil… Sans nostalgie, aucune. « Je n’y étais pas, un point c’est tout.
A vingt-quatre ans il me reste encore beaucoup de choses à prouver, à gagner. J’étais programmé pour réaliser un « truc » à Athènes, tant pis. »
Opinion confirmée par Michel Lourie, le responsable du sprint masculin : « Les énormes possibilités d’Hermann ont été révélées lorsqu’il fut champion d’Europe juniors à Donetsk, en 1978. On a découvert une autre facette de son talent à Moscou, où il entra en finale de 100m avant d’être médaillé avec le relais. Mais le véritable Panzo devait se réaliser cette saison. C’est-à-dire un sprinter capable de devenir champion d’Europe, tant par ses qualités physiques que psychiques. »
Mais cette fois, le physique n’a pas tenu la route.

Panzo voyageait pourtant sur orbite européenne depuis la fin de l’année passée.
Depuis qu’au « Golden sprint » de Zurich il avait dominé Wells, le champion olympique, et les Américains, Floyd et Lattany en tête. Une performance qui lui donnait de nouvelles ambitions pour 1982. Pour le préparer, Michel Lourie lui concocte alors une tournée américaine, fin avril, à l’instar de Roger Bambuck quatorze ans plus tôt.
Le début des ennuis. D’abord, à San Antonio, il se trompe d’horaire et arrive au stade alors que Lewis a déjà terminé l’épreuve. A San José, deuxième étape, il gagne le 100m et le 200m mais devant des « second couteaux »… Enfin, à Reino, la catastrophe. Il se blesse. Rien de bien grave, dit-on. Il préfère toutefois renoncer à un meeting en Jamaïque et au Mémorial Marie-Perrine, chez lui, à Fort-de-France.
Panzo se ménage. Il reprend l’entraînement peu à peu et retrouve ses moyens. Mais le mal est tenace et se réveille début juillet. Repos. Hermann y croit encore. Le 29 juillet, il rentre trois jours en Martinique pour le baptême de son fils. Au soleil, le moral remonte et il donne rendez-vous à Michel Lourie pour un ultime test, le 11 août à l’INSEP.
Il s’échauffe, trottine. Tout bon. Il s’impose un effort.
Perdu, retour à la case départ.
Trente mètres de course lui suffisent pour être fixé. La douleur est là et le force à abdiquer. Adieu les rêves, et adieu les championnats d’Europe. Il ne lui reste plus qu’à retourner à la maison, retrouver sa famille, ses disques et ses romans policiers qu’il dévore les uns après les autres. Il bouge peu et avoue s’ennuyer franchement, en attendant de reprendre l’entraînement. Il y retrouva celui qu’il considère comme son véritable entraîneur, Lucien Sainte-Rose. C’est « Lulu », comme il l’appelle, qui lui a fait découvrir les bienfaits d’un entraînement rigoureux et soigneusement élaboré. « Je lui dois tout », explique-t-il.
Reste encore la crainte de la rechute, même s’il n’ose l’évoquer, sans doute par superstition. La jambe tiendra-t-elle ? Il n’en doute pas un instant : « Je suis stimulé par les coups durs. En 1982, j’avais de grandes ambitions ; je les reporte seulement en 1983. » Les années impaires lui réussissent d’ailleurs mieux que les paires. Autant de motifs pour se lancer dans le sprint-fiction.
Pour se venger, il compte retourner aux Etats-Unis en début de saison.
Puis, il se préparera aux championnats de France : non seulement il veut y double 100m et 200m, mais aussi s’attaquer aux records de France ! Ensuite, ce sera le grand moment de l’année : les premiers championnats du monde d’athlétisme à Helsinki. De son fauteuil, un an de l’échéance, Panzo ne craint personne.
Il prend même des rendez-vous précis : « Je n’ai pas peur de Lewis ou Smith. S’il faut faire dix seconde électriques pour monter sur le podium, je le ferai ! Je vous promets une revanche après cette année ratée : je serai dans les trois premiers, et si possible, avec de l’or. Je n’ai jamais douté jusqu’à maintenant de mes possibilités. Ce n’est pas une blessure qui va me faire perdre mon assurance. »
Autre date sur l’échéancier : Les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984. Encore pour le titre, bien entendu… Ensuite, a priori, il pense ranger cette vitesse définitivement. «  Je raccrocherai à vingt-six ans, médaille en poche ! » Hermann a déjà de nouvelles ambitions sportives : la course automobile, une véritable passion. Il passe tous ses dimanches après-midi sur les bas-cotés des courses de côte en Martinique. « Je réussirai, vous savez. La différence entre le commun des mortels et le champion c’est que le champion n’a pas de complexe… »

Octobre, 2024

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